I. Statuts vs Pacte d’associés : comprendre la différence
Les statuts constitutifs sont le texte fondateur du démarrage de votre activité entrepreneuriale, en société.
On y trouve le nom, l’objet social, le siège social, le capital, les modalités de prise de décision en Assemblée Générale, et bien entendu un certain nombre de règles impératives en fonction de la forme sociale choisie (SARL, SAS, SA etc..).
C’est un document obligatoire, public, accessible par les tiers à l’entreprise.
Le pacte d’associés, quant à lui, est un document non obligatoire, généralement confidentiel, qui ne remplace pas les statuts, mais les complète. Il est signé entre les associés et permet d’aller plus loin sur des sujets sensibles, comme :
- Les conditions, notamment financières, d’entrée ou de sortie d’un associé,
- La répartition des pouvoirs réels entre les associés - La gestion des conflits ou blocages,
- La protection contre la concurrence etc…
Tous ces sujets, qui peuvent certes être abordés dans les statuts, n’ont pas vocation à l’être dans ce document, du moins pas de manière détaillée, en particulier pour les raisons de confidentialité évoquées.
En outre, le recours fréquent à la forme de la société par actions simplifiée, pour les statuts de laquelle la loi a prévu une grande liberté de rédaction, commande qu’un pacte extra-statutaire vienne apporter des règles de fonctionnement précises et encadre sérieusement les rapports entre associés.
II. L’utilité du pacte d’associés en quelques mots
Les opticiens travaillent parfois en binôme, en équipe familiale ou en association entre anciens collaborateurs.
Quelle que soit la nature de l’association, la vie entrepreneuriale est faite d’imprévus : changement de stratégie, désaccords, désir de céder ses titres, besoins d’investissements, ou encore volonté de départ précipité.
Les conflits ne naissent pas nécessairement de mauvaises intentions, mais souvent d’ambiguïtés, et plus généralement, d’un manque d’anticipation juridique de ces changements, alors que certains associés pensent encore naïvement que les liens qui les ont poussés à s’unir en société leur permettront de surmonter les litiges.
C’est là qu’un pacte d’associés, rédigé scrupuleusement, prend tout son sens, et vise à assurer au mieux la réussite du projet, ainsi que la protection des investissements d’associés qui se sont souvent endettés à titre personnel pour lancer leur activité.
Il permettra, entre autres avantages :
- D’organiser la gouvernance par le détail notamment d’une liste des décisions les plus importantes qui ne pourraient être prises par la seule volonté d’un dirigeant,
- De contrôler au mieux la capitalisation de la société, par l’encadrement de la fluidité des titres en prévoyant des règles de mouvement des titres, de sortie d’associés désireux de quitter le navire, ou de restreindre cette capacité de sortie pour protéger l’investissement initial,
- D’anticiper et de régler par avance tout litige, et éviter une paralysie de la société qui pourrait conduire à la perte des investissements et une perte de valeur de la société, en organisant notamment des mécanismes de règlement des conflits (une clause d’arbitrage par exemple), ou encore une dévalorisation des titres d’un associé s’étant rendu coupable d’un comportement nuisible à la Société et aux intérêts des associés,
- D’obliger par exemple des associés minoritaires à céder leurs titres en cas d’offre de rachat de l’intégralité des titres de la société par un repreneur qui ferait une offre qui ne serait pas raisonnable de refuser,
- De constituer une base de discussion solide auprès d’investisseurs institutionnels ou privés, qui verront dans l’existence d’un tel document, la marque du sérieux des entrepreneurs dans la conduite de leur entreprise.
Et plus généralement, de protéger le projet initial, et les éventuels actifs incorporels de la Société (marque, nom, brevets etc..) qui peuvent représenter une valeur non négligeable.
III. Pacte d’associés vs Statuts : qui prévaut réellement ?
Lorsque l’on parle de ces deux types d’actes, une question revient souvent : qui l’emporte en cas de contradiction ? La pratique a en effet pu conduire à des situations où ces deux documents stipulent des dispositions contraires, parfois par maladresse des rédacteurs, parfois par la croyance toute simple, que cela est possible.
Pendant longtemps, la jurisprudence a oscillé entre deux positions : primauté des statuts, reconnus comme étant le livre sacré des contrats d’une société, puis prévalence du dernier des actes qui a été régularisé, la Cour de cassation s’étant fondée un temps sur un critère chronologie plutôt que hiérarchique (Ccass, Chambre com. 5 juin 2019).
Toutefois, dans une décision du 12 octobre 2022, la Cour de cassation a considéré que les actes extra-statutaires pouvaient en effet compléter les statuts, mais ne pouvaient pas y déroger. Autrement dit, si une clause du pacte contredit les statuts, ce sont les statuts qui s’appliqueront, en particulier lorsque la loi attribue expressément aux statuts certaines prérogatives (Article L. 227-5 du Code de commerce).
Cette décision, qui a été rendue en matière de gouvernance de société, a laissé supposer que c’est sur ce domaine que les statuts primaient.
Même si, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 16 novembre 2023, a fait le choix de donner effet à une décision unanime des associés fixant des modalités de révocation d’un dirigeant différentes de celles prévues par les statuts. Elle a ainsi écarté les stipulations statutaires au profit de l’accord extra-statutaire, en rupture avec la position adoptée initialement par la Cour de cassation évoquée précédemment.
A l’évidence, ces mouvements jurisprudentiels démontrent que, afin d’éviter toute ambigüité qui pourrait conduire à de sérieuses difficultés d’efficacité des accords contenus dans les conventions entre associés, il sera vivement conseillé que le pacte d’associés s’articule avec les statuts, sans les contredire.
Des statuts et un pacte d’associé minutieusement préparés peuvent en effet s’avérer des outils redoutables à l’effet d’obliger les signataires à respecter leurs engagements et obligations, sous peine d’avoir possiblement à être contraints de les exécuter, par voie de justice.
En conclusion, il convient de considérer un pacte d’associé comme une assurance, ou encore, une paire de lunettes de soleil en plein hiver… vous n’en aurez pas besoin tous les jours, mais quand la lumière devient trop forte, vous serez heureux de les avoir à porter de mains ; car en cas de conflit, de départ, de mésentente ou même de succès soudain… c’est ce document qui fixera souvent les règles du jeu.