Comment protéger son conjoint sans léser ses enfants ?

Le 19 Janvier 2022

La plupart des parents sont souvent davantage préoccupés par la manière de transmettre un patrimoine à leurs enfants que de savoir comment protéger leur conjoint. Or, alors que la durée de vie s’est allongée et que le montant des pensions de réversion va diminuant, s’interroger sur le devenir du conjoint lors de la disparition du mari ou de l’épouse devrait être une véritable préoccupation. La réponse à cette problématique ne sera traitée ici qu’en présence d’un ou plusieurs enfants.

Par Judith Sebillotte-Legris, avocate spécialisée en droit du patrimoine.
(c)William W. Potter AdobeStock

Les droits légaux du conjoint survivant

Tous les enfants sont issus du couple

Si vous n’avez pas pris de disposition en faveur de votre conjoint et quel que soit le régime matrimonial (communauté réduite aux acquêts ou séparation de bien…), celui-ci recueille à son choix :

  • soit l'usufruit de la totalité des biens appartenant au défunt (c'està- dire le droit d'utiliser les biens ou d'en percevoir les revenus),
  • soit le quart en pleine-propriété.

Pour exercer son choix, le conjoint à un délai de trois mois à compter de l’ouverture de la succession. Faute d'avoir choisi son option par écrit dans les trois mois de la demande de l’héritier, le conjoint survivant sera réputé avoir opté pour l'usufruit.

En outre, le conjoint bénéficie de droits d’ordre public, cela signifie que l’on ne peut pas l’en priver :

  • Le droit d’occuper le logement qui constituait la résidence principale pendant un an, si le logement appartenait aux deux époux ou dépend totalement de la succession.
  • Le droit pour le conjoint locataire du logement qu’il occupe de demander à la succession une année de loyers s’il était locataire (C. civ. art. 763, al.2).
  • Le droit pour le conjoint de demander une pension si ses revenus sont insuffisants au jour du décès.

Si le conjoint opte pour le quart en pleine propriété du patrimoine recueilli, il pourra, en principe, librement en disposer. Cependant, ce patrimoine se trouvera bien souvent en indivision avec les enfants. Dès lors le consentement de ces derniers sera nécessaire pour toute décision de vente. S’il y a une bonne entente cela n’entraîne pas de difficulté mais si ce n’est pas le cas… Si le conjoint opte pour la totalité en usufruit, il aura la jouissance de l’intégralité des biens du défunt, c’est-à-dire qu’il peut les utiliser à son profit et en percevoir les revenus (loyers par exemple), mais sans pouvoir les vendre. En fonction de l’option choisie, les enfants du couple toucheront soit les trois quarts des biens de la succession en pleine propriété, soit la totalité en nue-propriété.

Le conjoint décédé laisse d'autres enfants que ceux du couple

Dans cette hypothèse le droit emploie une expression qui en dit long : enfants nés d’un premier lit… Dès lors et dans le souci de protéger les enfants, le conjoint survivant n'a pas le choix et recueille la propriété du quart des biens du défunt. Cette absence de choix peut créer un véritable « tsunami » familial !

Prenons un exemple : M. et Mme Gabin ont un enfant commun (Louis) et M. a un enfant né d’une première union (Gaël). Ils sont mariés sous le régime de la séparation de bien. M. décède. Patrimoine de M. Gabin : une résidence principale évaluée 500.000 € et des liquidités pour un montant de 150.000 €. Au décès de M. Gabin : Mme Gabin a droit au ¼ des biens soit 650.000 € /4 = 162.500 €. Quant à Louis et Gaël, ils recevront les ¾ des biens soit 487 500 € soit pour chacun 243 750 €.

Que constat-t-on dans cette situation ? Louis se trouve avantagé puisqu’au décès de sa maman, il recevra 162.500 € et se trouvera à la tête d’un patrimoine de 406 250 € alors que Gaël devra se contenter des 243 750 €. De quoi semer la zizanie sans une famille unie et ce d’autant que le résultat eut été différent si l’ordre des décès avait été inversé…

S’agissant des droits sur le logement familial, ils sont identiques à ceux du conjoint en présence d’enfants communs seulement. Il est dès lors légitime de se poser la question de savoir si les droits légaux constituent une véritable protection ? En effet, dans l’un ou l’autre cas (enfants communs ou non), l’on constate que le conjoint survivant se retrouvera soit en indivision avec les héritiers (le plus souvent les enfants), soit seulement usufruitier : l’une ou l’autre de ces situations ne lui permettront pas de décider seul de la vente d’un bien et en particulier de la résidence principale. Cette relative perte d’autonomie peut s’avérer pénalisante et surtout source de conflit.

Si le conjoint prédécédé avait des enfants d’une première union, l’expérience montre que la disposition légale ne correspond pas, bien souvent, à la volonté des conjoints. En effet, dans cette hypothèse les enfants sont définitivement privés de ce quart, puisque, par hypothèse, ils n’ont pas de lien familial avec le conjoint survivant : on n’hérite pas de son beau-père ou de sa belle-mère !

Comment augmenter ou diminuer les droits du conjoint

La donation entre époux

Il est tout d’abord possible d’améliorer la situation du conjoint par une donation entre époux. On parle improprement de donation au dernier vivant car cette libéralité ne prend effet qu’au décès du conjoint (elle est donc révocable en cas de divorce) et élargit les droits dans la succession puisque le conjoint survivant bénéficie alors d’une alternative à trois branches :

  • Soit l’usufruit de la totalité de votre succession,
  • Soit un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit,
  • Soit la quotité disponible ordinaire de la succession en pleine propriété (la moitié en présence d’un enfant, le tiers en présence de deux, le quart en présence de trois enfants ou plus).

Il n’est pas nécessaire de laisser le choix à son conjoint et rien n’interdit de transmettre tel ou tel bien à son conjoint librement choisi. Cela permettra d’éviter une situation d’indivision et donc de donner une plus grande liberté au survivant. A noter que le conjoint peut également cantonner la donation qui lui a été consentie. Le cantonnement consiste, en quelque sorte, à abandonner une portion de sa part d'héritage pour la laisser aux autres héritiers et limiter ses droits à tel ou tel bien.

Peut-on « déshériter » son conjoint ?

La réponse est oui, mari ou femme peut ne l’apprendre qu’au décès ! Ainsi, bien souvent au moment de leur union, ou peu de temps après, les conjoints se consentent réciproquement une donation entre époux. Vive le temps de l’amour… A supposer que l’un des conjoints (bien ou mal conseillé) décide (sans que l’autre le sache) de rédiger un testament déshéritant son conjoint : nul besoin de l’en informer. Les « réveils » peuvent donc être douloureux. A noter cependant que si l’on entend priver le conjoint de tout droit sur la résidence principale, il faudra nécessairement rédiger un testament dit authentique, c’est à dire devant notaire. Il existe d’autre manière de protéger son conjoint notamment par la voie d’un changement de régime matrimonial, d’un contrat d’assurance-vie... En cas d’enfants non communs, si on souhaite éviter des distorsions entre eux, une réflexion sur une procédure d’adoption peut être menée. Il existe de nombreuses possibilités juridiques de nature à éviter tout sentiment d’injustice entre les différents héritiers.

Quels que soient les objectifs, il est fondamental d’en parler de son vivant, de mesurer les conséquences de l’ouverture d’une succession tant sur le plan juridique que fiscal. Rien de pire que d’ajouter à la douleur de la perte d’un être cher, des difficultés financières, psychologiques, des rancunes. Souvenons-nous de cette phrase de Pierre Lemaître : « En fait, ce sont souvent les événements qui décident pour nous. D'où la nécessité de calculer. D'anticiper. »