Inaudibles pour l’oreille humaine, mais presque indispensablesà l’imagerie médicale… les ultrasons sont utilisés depuis des dé-cennies. L’échographie ultrasonore, employée notamment en obstétrique pour obtenir des images prénatales, à haute résolution et en temps réel, en est l’illustration la plus emblématique.
Au-delà de l’imagerie, les ultrasons peuvent aussi avoir une visée thérapeutique. Des chercheurs ont en effet pour ambition de redonner la vue à des personnes qui en sont dépourvues : ils ont développé, chez le rongeur, une thérapie sonogénétique, c’est-à dire associant ultrasons et génétique (S. Cadoni et al. Nature nanotechnology, juin 2023, doi : 10.1038/s41565-023-01359-6).
Thérapie génique
Pour ce faire, les chercheurs ont modifié des neurones spécifiquement impliqués dans la vue en injectant, dans le cortex visuel de rongeurs adultes, un vecteur viral permettant d’introduire le code génétique d’un canal ionique mécanosensible (MscL) conduisant à son expression dans les neurones. Normalement produit par des bactéries, ce canal permet à celles-ci de sentir les pressions physiques de leur milieu. Les neurones modifiés qui l’expriment par la thérapie génique, deviennent ainsi activables à distance par des ultrasons, et ce de manière stable dans le temps puisqu’ils ont intégré cette nouvelle information génétique. C’est-à-dire, une stratégie miroir de l’implant optogénétique, qui vise à restaurer l’audition en utilisant de la lumière.
« Nos résultats indiquent que la stimulation sonogénétique du cortex visuel déclenche une réponse comportementale normalement associée à une perception lumineuse, explique Serge Picaud, directeur de recherche Inserm à l’Institut de la Vision, à Paris, et qui a encadré cette étude. Plus précisément, les animaux apprennent à associer la mise à disposition d’eau suite à la présentation d’un flash lumineux. Une réponse équivalente est obtenue pour les animaux stimulés par des ultrasons, mais uniquement si leur cortex visuel exprime le canal ionique mécanosensible.»
À noter que les ultrasons utilisés sont dans une gamme de fréquences haute (20 MHz), et de faible intensité, afin d’éviter les effets indésirables (par exemple, éviter que les tissus ne chauffent) chez l’animal comme plus tard chez l’humain. Les chercheurs ont observé par ailleurs une très bonne résolution spatiale de l’activation neuronale. «Si on déplace la sonde à ultrasons, les neurones activés au sein du cortex visuel sont différents », précise le chercheur. Et aussi, une bonne résolution temporelle (de l’ordre de quelques millisecondes). « Ces deux points sont importants pour espérer restaurer la vue à terme », souligne-t-il.
Convertir des ultrasons en images
Évidemment, des étapes supplémentaires sont nécessaires avant que la thérapie sonogénétique ne voie le jour chez les patients ayant perdu la fonction du nerf optique. « Notre étude apporte la preuve de concept de cette thérapie chez les rats et souris », tempère-t-il.
Dans un premier temps, cela implique de mettre au point un test de perception d’une forme ou d’un mouvement, plus élaboré que de tester la perception de flash lumineux. « Nous avons obtenu des financements pour évaluer la transition chez l’homme en testant la détection de formes sur des primates non-humains », indique Serge Picaud.
Il serait également nécessaire de développer un dispositif externe, comme des lunettes dotées d’une caméra, qui convertirait les images de l’environnement en images ultrasonores pour stimuler le cortex visuel du patient, à des cadences de plusieurs dizaines d’images à la seconde, comme dans une vidéo.
Moins invasive que les prothèses corticales à électrodes qui ont été testées depuis les années 1960 pour restaurer la vision ou celles plus efficaces sur le tronc cérébral pour restaurer l’audition, cette approche de stimulation à distance par ultrasons présenterait l’avantage d’être plus stable dans le temps et moins à risque d’endommager le cerveau. « Son principe pourrait également s’appliquer à la restauration de l’audition, souligne le chercheur. On modifierait génétiquement des neurones du système auditif pour les rendre sensibles aux ultrasons, et il faudrait un dispositif convertissant les sons en images ultrasonores ». Ces dernières permettront de représenter toutes les composantes du son, afin que les différentes fréquences auditives soient réparties dans le cerveau. Quelques défis techniques restent donc à relever avant de pouvoir en faire bénéficier les patients mais les chercheurs nourrissent de grands espoirs de réussite.