Droit aux congés payés des salariés malades: revirement de jurisprudence

Le 25 Octobre 2023

C'est un changement de taille pour les salariés en arrêts de travail. Une nouvelle jurisprudence leur permet d’acquérir des droits congés payés pendant leur absence et quel que soit le motif de la maladie.

Par Hervé Benchétrit, Avocat Associé, et Valérie Batifois, Avocate en droit social
Image par CUsai de Pixabay

L ’actualité sociale n’a pas connu de trêve estivale. La chambre sociale de la Cour de cassation fait sa rentrée avec un revirement de jurisprudence sur le droit au congé des salariés malades qui peut avoir des implications sur les coûts salariaux dans les entreprises et les provisions à établir dans les comptes de société. Ce nouveau risque social doit également être pris en compte dans le cadre de vos projets de cession de vos entreprises au regard de l’incertitude sur le point de départ de la prescription de 3 ans.

Mais encore, en bref :

  • Le législateur fixe un nouveau régime social de la rupture conventionnelle.
  • L’administration change aussi de position sur l’organisation des élections dans les entreprises de 11 à 20 salariés.

L’article L 3141-3 du Code du travail dispose : "Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur."
Les périodes d’absence du salarié ne permettent donc pas d’acquérir des congés payés car le droit au congé est lié à l’exécution effective du contrat de travail.
Par exception, des dispositions de la convention collective peuvent considérer que les périodes de suspension du contrat de travail permettent d’acquérir des congés payés pendant une certaine durée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour la convention collective de l’optique et de lunetterie.

Certaines dispositions du Code du travail assimilent également les périodes d’absence à du travail effectif. Ainsi, selon l’article L 3141-5 du Code du travail, les périodes de suspension du contrat de travail en raison d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle sont assimilées à du travail effectif pour la détermination de la durée du congé mais uniquement dans la "limite d’une durée ininterrompue d’un an".
On savait que ces dispositions étaient contraires au droit européen puisque l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 prévoit un droit à congés payés d’au moins 4 semaines par an. Selon le droit européen, ce droit à congé n’est pas affecté en cas d’absence du salarié pour raisons de santé au cours de la période d’acquisition des congés.

Le droit européen n’opère aucune distinction entre les salariés absents pour maladie pendant la période de référence et ceux ayant effectivement travaillé pendant la période d’acquisition des congés (CJUE 24-1-2012 aff. 282/10 : RJS 4/12 no 399). Malgré ces règles européennes, la jurisprudence française a continué d'appliquer le seul Code du travail.

En effet, le juge français ne peut pas écarter les effets d’une disposition nationale contraire dans un litige entre des particuliers, et donc entre un salarié et un employeur de droit privé.
Mais, en 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé que l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui dispose : "1. Tout travailleur a le droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.

2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi qu'à une période annuelle de congés payés." 

est directement invocable par un salarié dans un litige qui l’oppose à son employeur de droit privé, et que le juge national doit alors laisser inappliquée la réglementation nationale non conforme (CJUE 6-11-2018 aff. 569/16).
Les employeurs français étaient donc en sursis dans l’attente d’une modification législative.

Cinq ans plus tard, en l’absence de mise en conformité des dispositions légales avec le droit européen, la chambre sociale en sa formation plénière fait évoluer sa jurisprudence au visa de l’article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Par une série d’arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation décide d’écarter partiellement les dispositions des articles L 3141-3 et L 3141-5 du Code du travail et juge désormais que le salarié malade acquiert des congés payés pendant les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie non professionnelle et pour accident du travail au-delà d’un an (Cass soc 13 septembre 2023 n°22-17430, Cass soc 13 septembre 2023 n°22-17638).
Le revirement de jurisprudence doit donc conduire les employeurs à tenir compte des absences pour maladie, accident du travail et maladie professionnelle pour calculer le nombre de jours de congés payés en cours d’acquisition.
La jurisprudence étant rétroactive, un salarié peut demander à son employeur le bénéfice de jours de congés payés au titre d’une période de maladie. En cas de refus, le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes en se fondant sur les jurisprudences de la Cour de cassation en date du 13 septembre 2023 qui sont applicables à des situations passées et futures. Il est donc recommandé de modifier dès à présent le paramétrage de la paie pour la période d’acquisition en cours.
Qu’en est-il pour les années antérieures ? Un contentieux très important risque de se développer sur cette question.

Quelle prescription ?

Le délai de prescription en matière d'indemnité de congés payés est de 3 ans comme pour le salaire. Selon une jurisprudence constante, le point de départ de l’action en paiement de l’indemnité débute à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris dès lors que l'employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé.
A notre avis, pour faire courir la prescription, il est donc impératif d’informer chaque année les salariés sur la prise de congés payés (cf notre article du N°34 de février / mars 2023). Les employeurs pourraient ainsi avoir à payer des congés payés rétroactivement pour des périodes pendant lesquelles les salariés étaient en arrêt maladie. Cela pourrait augmenter considérablement les coûts salariaux pour les entreprises et / ou les provisions dans les comptes des sociétés. Il faut aussi penser à la clause de garantie de passif dans le cadre de cession de vos entreprises.
Les juges ont la possibilité de limiter dans le temps la prise d’effet de leur décision que pour l’avenir par exemple mais dans l’attente de ces précisions, il faut :

  • Décider ou non de créditer les compteurs de congés sur les trois dernières années pour les salariés en poste et qui ont été malades,
  • Envisager une négociation avec les salariés en interne et/ou le CSE sur une limite du report des congés non pris,
  • Envisager la prise de provisions dans les comptes en tenant compte de la prescription,
  • Anticiper la communication en interne sur le sujet.

Nouveau régime social de la rupture conventionnelle homologuée

Depuis le 1er septembre 2023, le forfait social de 20 % est remplacé par une contribution patronale de 30 % applicable pour toute rupture conventionnelle conclue.

Changement de position de l’administration sur l’absence de candidats à l’élection du CSE dans les entreprises de 11 à 20 salariés : il faut mener le processus électoral jusqu’à son terme.

Une nouvelle version du CERFA relatif au PV de carence (Cerfa n° 15248*05 du 8 août 2023) paraît matérialiser un changement de doctrine et suppose désormais que les élections doivent être organisées même lorsqu’aucun salarié ne s’est porté candidat dans les 30 jours suivant l’information des salariés de l’organisation des élections.