Droit social: les règles du transfert d'entreprise en application des dispositions de l'article L1224-1 du Code du travail

Le 24 Juin 2024

A l’approche d’un projet d’acquisition ou de cession d’entreprise, au sein de laquelle sont employés des collaborateurs, tout dirigeant s’est nécessairement posé un certain nombre de questions au sujet du sort de ses salariés et de leurs droits dans l’opération.

Par Hervé Benchétrit, Avocat Associé, et Valérie Batifois, Avocate en droit du travail.
CUsai de Pixabay

Pour rappel, l’article L 1224-1 du code du travail prévoit que « Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ».
Nous avons réuni sous forme d’un entretien de type questions/réponses, les interrogations pratiques qui reviennent le plus couramment et qui méritent un éclairage, ou une mise à niveau des plus avertis.

Q : Le transfert des contrats de travail est-il obligatoire pour les deux entreprises concernées ?
R : Oui.
Le transfert des contrats de travail s’opère de manière automatique. Tout accord conclu entre le cédant et le cessionnaire visant à éluder les effets impératifs de l’article L 1224-1 du code du travail est nul et sans effet.

Q : Le repreneur de l’activité peut-il refuser la reprise des salariés affectés à cette activité ?
R : Non.
Le repreneur est obligé de reprendre le personnel.
Les salariés peuvent saisir le conseil de prud’hommes qui peut imposer le transfert du contrat de travail. Le salarié peut aussi prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur ou saisir le juge prud’homal d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat.

Q : Un salarié peut-il refuser le transfert ?
R : Non
. Le salarié ne peut pas s’opposer au transfert de son contrat de travail. Il ne peut exiger de l’employeur initial qu’il prononce son licenciement.

Q : Le salarié peut-il démissionner ou signer une rupture conventionnelle ?
R : Oui,
si son consentement n’est pas vicié.

Q : Que se passe-t-il si le salarié refuse de poursuivre le travail pour le nouvel employeur ?
R :
Il commet une faute qui peut justifier son licenciement par le nouvel employeur après le transfert de l’entreprise.
En revanche, le salarié qui refuse le transfert ne peut pas être licencié par son employeur initial, un tel licenciement serait sans effet, le salarié pouvant obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts.

Q : Quels sont les salariés concernés par le transfert ?
R : Les salariés dont les contrats sont en cours au moment du transfert. Il n’y a pas lieu de distinguer selon la nature du contrat de travail : CDI, CDD, contrats d’apprentissage, les salariés dont le contrat est suspendu et même les salariés en cours de préavis.

Q : Est-il possible de licencier avant le transfert ?
R : Oui.
L’employeur peut procéder à des licenciements avant le transfert, à condition que ces licenciements n’aient pas pour objet ou pour effet de faire échec au transfert des contrats.
Si le licenciement est valable, le contrat prend fin normalement.
S’il apparait que le motif invoqué est un prétexte pour éluder les dispositions de l’article L 1224 1 du Code du travail par un accord frauduleux entre le cédant et le cessionnaire, le licenciement sera privé d’effet.
Le salarié peut alors demander à son choix soit la poursuite de son contrat soit la réparation du préjudice résultant du licenciement.

Q : Qui doit assurer le paiement des sommes dues aux salariés à la date du transfert ?
R : Les dettes salariales de l’employeur initial sont transférées au nouvel employeur.
Ce dernier doit donc prévoir cette charge dans l’acte de cession.
En cas de litige, le salarié peut agir indifféremment à l’encontre des deux employeurs successifs sauf si le transfert intervient à l’occasion d’une procédure collective.

Q : Quel est l’effet du transfert sur les contrats de travail ?
R : La loi prévoit la poursuite des contrats de travail. Le nouvel employeur est tenu de reprendre l’ensemble des éléments du contrat de travail : rémunération, qualification, clause de mobilité ou de non-concurrence.
En outre, le nouvel employeur est tenu de respecter les droits acquis par les salariés dont le contrat de travail est transféré, notamment : salaire, ancienneté, congés payés.

Q : Le contrat de travail peut-il être modifié à l’occasion du transfert ?
R : Oui
si le régime classique de la modification de travail s’applique.
Le salarié ne peut donc pas être licencié pour ce refus.

Q : Est-il possible de proposer un nouveau contrat de travail aux salariés transférés ?
R : Oui
si le salarié l’accepte.

Q : Le repreneur peut-il licencier le salarié transféré ?
R : Oui
si le motif du licenciement n’est pas lié au transfert du contrat de travail.

Q : Les salariés transférés peuvent-ils demander à bénéficier des usages et engagements unilatéraux en vigueur dans l’entreprise précédente ?
R : Oui.
Les usages et les engagements unilatéraux sont transférés avec les contrats de travail et sont opposables au nouvel employeur même lorsque la cession intervient dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire et qu’ils ne sont pas visés dans l’offre de reprise.
Le nouvel employeur qui ne souhaite pas continuer à appliquer les usages en vigueur dans l’ancienne entreprise doit procéder à leur dénonciation.

Q : Quels salariés peuvent se prévaloir des usages maintenus ?
R :
Uniquement les salariés dont le contrat de travail était en cours à la date du transfert.
Les salariés embauchés après le transfert ne peuvent se prévaloir d’un usage transféré à l’occasion d’un transfert d’entreprise.
Le maintien des usages ne constitue pas une atteinte prohibée au principe d’égalité de traitement. Les salariés non transférés ne peuvent donc pas revendiquer un avantage maintenu au profit des salariés transférés en se fondant sur le principe d’égalité de traitement.

Q : Quelle est l’incidence du transfert sur les accords d’épargne salariale ?
R :
L’accord d’intéressement ou de participation cesse de produire effet entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise si l’opération « rend impossible » son application. Le nouvel employeur doit engager dans les 6 mois une négociation en vue de la conclusion d’un nouvel accord, sans obligation de conclure.
Le salarié conserve ses droits au sein du Plan d’Épargne d’Entreprise mis en place par son ancien employeur et peut seulement transférer ses avoirs au sein du plan d’épargne d’entreprise, s’il existe, de son nouvel employeur.
Autrement dit, ce dernier n’a ni à poursuivre le plan mis en place par l’ancien employeur ni a fortiori, s’agissant d’un dispositif facultatif, à en mettre un en place si l’entreprise
n’en est pas dotée.