Dans le paysage mouvant de l’immobilier commercial, les loyers constituent souvent un point d’équilibre fragile entre bailleurs et locataires. En période d’incertitude économique, marquée par des variations significatives des indices ILC (Indice des Loyers Commerciaux) et ICC (Indice du Coût de la Construction), la révision des loyers commerciaux à la baisse se pose comme une question stratégique et juridique cruciale.
La conjoncture conduit les praticiens du droit à se pencher sur la révision des loyers car l’évolution des indices de révision, et en particulier de l’ICC, a été assez fulgurante :
- environ + 36% pour l’ICC au cours de ces 9 dernières années ;
- environ + 26% pour l’ILC sur la même période.
Si ces indices ont flambé, ce qui avait motivé le gouvernement à prévoir des mécanismes de plafonnement étudiés à l’occasion d’un précédent article (« Inflation et révision du loyer : un bouclier relatif ». La Revue des opticiens n°40), la valeur locative du foncier n’a pas nécessairement suivi cette tendance, et a, dans certains cas, chuté au gré de l’impact du Covid-19 et des autres évènements économiques qui ont suivi au cours de ces quatre dernières années.
I – La révision du loyer à la baisse, à l’occasion du renouvellement du bail commercial
Pour de nombreux locataires et dans l'imaginaire collectif, le renouvellement du bail est souvent associé à une augmentation prévisible du loyer. Et pourtant.
La réglementation en la matière est assez limpide : sauf accord entre les parties, le loyer des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative (article L 145-33 du code de commerce).
Si dans les baux les plus classiques et les plus courants, il existe un mécanisme de plafonnement des loyers en fonction de l’évolution de l’indice ILC à l’occasion du renouvellement du bail commercial, il est important de savoir que rien n’empêche le locataire qui estimerait que son loyer, même plafonné, est trop élevé, de vouloir le faire fixer à la baisse.
Cela suppose évidemment que le locataire dispose d’informations sérieuses lui permettant d’estimer que la valeur locative du bien est inférieure à ce plafond.
Néanmoins, aucune autre démonstration n’est nécessaire.
Il résulte en effet d'une jurisprudence constante que le loyer du bail renouvelé est plafonné à la hausse, mais pas à la baisse.
Dès lors, le juge doit fixer le loyer à la valeur locative, quand bien même elle serait inférieure au loyer en cours, et même si les éléments pris en compte pour la fixation de la valeur locative (dont les caractéristiques du local et les facteurs locaux de commercialité) n'ont pas subi de modification notable.
II – La révision du loyer en cours de bail
Cette méthode de révision n’est pas des plus fréquentes, et ce pour deux raisons :
- d’une part, du fait de la relative méconnaissance de son existence par les locataires,
- mais également des conditions a priori plus restrictives pour y prétendre, par rapport aux développements qui ont précédé au sujet du loyer de renouvellement.
La baisse de la valeur locative des locaux loués en cours de bail ne constitue en effet pas, à elle seule, un motif de révision du loyer à la baisse.
Deux cas justifient la possibilité de formuler une telle demande (on écartera de l’analyse la situation exceptionnelle d’un indice de révision qui viendrait à baisser).
a) L’évolution défavorable des facteurs locaux de commercialité
Avant toute chose, rappelons que toute demande de révision de loyer au titre du mécanisme légal de révision ne peut être formulée que trois ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé (article L 145-38 du code de commerce) ou après la date de prise d'effet de la précédente révision. Si toutefois, le locataire parvient à démontrer une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité qui a entraîné une variation de plus de 10% de la valeur locative du local, la révision du loyer à la valeur locative peut être demandée. Selon l’article R145-6 du Code de commerce, ces facteurs de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire. Or cet article ne définit pas strictement ces facteurs. L’appréciation des caractères de la modification est donc soumise au pouvoir souverain des juges du fond, ce qui explique que la preuve à rapporter demeure un exercice complexe. Certains ont pu avancer la désertification des bureaux à proximité en raison de l’augmentation du télétravail, ou encore dans une galerie marchande, la désertification des cellules mais également le remplacement de l’enseigne alimentaire supposée phare par une ancienne moins attractive…
b) La variation du loyer en présence d’une clause conventionnelle d’indexation dite d’« échelle mobile ».
Nombre de baux prévoient, en plus du mécanisme de révision légal du loyer, une clause d’indexation automatique du loyer, généralement annuelle, au regard de la variation de l’indice ILC, ou ICC (ce dernier indice pouvant toujours être prévu dans le cadre du mécanisme de variation du loyer en cours de bail). L’article L 145-39 du code de commerce prévoit que « si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. » La demande de révision à la baisse peut donc être adressée dès que le loyer, précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire, a varié, à la hausse ou à la baisse, de plus de 25 % par le jeu de la clause d’échelle mobile. Dans cette situation également, le locataire devra s’assurer que la valeur locative est inférieure au loyer en cours, car toute demande de fixation de loyer à la baisse qui serait faite sans un minimum de précaution pourrait conduire à une bien mauvaise surprise, si la valeur locative devait s’avérer supérieure au loyer en cours.
L’appel à un expert immobilier peut constituer une bonne première étape vers l’examen de la situation locale du commerce considéré. La mise en oeuvre de chacune de ces procédures répond également à un formalisme strict qui justifie une préparation minutieuse du dossier, et une bonne dose d’anticipation.