LE BAIL DE COURTE DURÉE : UNE FORMULE UTILE ET PÉRILLEUSE À LA FOIS

Le 24 Septembre 2025

Le bail de courte durée, souvent appelé « bail dérogatoire », est défini par l’article L 145-5 du Code de commerce ; il permet aux parties de conclure un contrat pour une durée maximale de trois ans, en dehors du régime classique des baux commerciaux.

Par Hervé Benchétrit, Avocat Associé.
Image par Gerd Altmann de Pixabay

Ce dispositif vise à offrir de la souplesse : le propriétaire évalue si le locataire est sérieux, tandis que le commerçant peut vérifier la qualité du local et de l’emplacement pour son activité. C’est un véritable « bail à l’essai ».

Les opticiens auront tendance à lui préférer, en général, le bail commercial classique compte tenu, bien souvent, de l’ampleur des investissements déployés à leur entrée dans les lieux.

Toutefois, il arrive que ce type de baux puisse être adapté à un entrepreneur néophyte ou désireux de développer ses emplacements, parfois dans des quartiers spécifiques d’une commune.

Il arrive également, et cela est plus regrettable, que des entrepreneurs signent ce type de baux sans connaître précisément la portée de leur engagement.

Un petit tour d’horizon permettra d’y voir plus clair dans ce dispositif dont le régime est encore relativement méconnu du grand public des entrepreneurs.

Quelle est la différence avec les autres baux ?

Contrairement à ce que l’on entend parfois, il ne faut pas confondre le bail dérogatoire avec le « bail précaire » ou la location saisonnière, qui obéissent à d’autres règles.

- Le bail saisonnier donne l’usage d’un local pour une « saison » précise (touristique ou commerciale), tandis que le bail dérogatoire s’étend sur une période continue, sans l’interruption caractéristique des saisons.

- Louer pour une saison touristique ou commerciale ne relève pas des mêmes règles, car la nature de la location et les conditions effectives d’occupation (présence de matériel hors saison, remise des clés…) constituent des éléments décisifs pour la qualification juridique. La convention d’occupation précaire (article L145-5-1 du code de commerce) suppose quant à elle l’existence d’un motif objectif de précarité, indépendant de la volonté des parties: par exemple, le propriétaire attend une expropriation, prévoit une démolition, ou la construction future du bâtiment. Il ne suffit pas que les parties s’accordent : il faut une vraie cause extérieure qui rend la situation incertaine.

En résumé, ce type d’occupation n’est permis que lorsqu’un événement exceptionnel (et non la simple décision des parties) justifie que la durée soit limitée ; le terme du contrat dépend alors de la survenue de cette cause particulière, et pas seulement d’un accord entre propriétaire et occupant.

Les règles du jeu : conditions, durée et volonté des parties

Pour bénéficier du bail de courte durée, trois conditions principales doivent être réunies:

1. La durée totale du bail (ou de plusieurs baux successifs) ne doit pas dépasser trois ans.

2. Le point de départ du bail est la prise de possession effective du local par le locataire.

3. Les parties doivent clairement faire savoir qu’elles souhaitent déroger au statut classique des baux commerciaux.

La volonté des parties est ici centrale et doit être formulée sans ambiguïté : la simple durée courte ne suffit pas. Souvent, cette volonté apparaît dans une clause précise du contrat : « Les parties entendent expressément déroger au statut des baux commerciaux ».

Rédaction, état des lieux et déroulement

Même si aucune forme stricte n’est imposée par la loi, il est vivement recommandé de rédiger le bail par écrit. Cela facilite la preuve des engagements pris et sécurise grandement l’opération. De plus, la loi exige, depuis juin 2014, la réalisation d’un état des lieux à l’entrée dans les lieux – et lors de la sortie – qui doit être annexé au bail. Si les parties ne parviennent pas à s’accorder, l’état des lieux peut être dressé par un commissaire de justice (ex « huissier de justice »).

Le bail dérogatoire est un contrat de louage de droit commun régi par les dispositions des articles 1709 et suivants du Code civil.

Les parties peuvent ainsi organiser librement leurs relations contractuelles, hormis naturellement sur la question de la durée du bail.

La fin du bail : un départ sans ambiguïté

À l’échéance du bail, le locataire doit remettre les clefs et quitter les lieux, sauf clause particulière prévue au contrat. Le bail dérogatoire cesse automatiquement, sans qu’il soit besoin d’adresser un congé, sauf si les parties ont prévu une règle différente dans le contrat. Mais attention: si le locataire reste dans les locaux plus d’un mois après la fin du bail, il se forme alors un bail commercial classique, soumis au statut des baux commerciaux, avec des droits bien plus importants pour le locataire (propriété commerciale, droit au renouvellement, indemnité d’éviction éventuelle…). Pour éviter un tel dénouement, le propriétaire devra annoncer clairement à son locataire, par lettre recommandée ou acte de commissaire de justice, sa volonté de mettre fin à l’occupation du local.

Les subtilités à connaître

Tout délai est calculé « de quantième en quantième » : un bail expirant le 31 août aura son délai d’un mois qui court jusqu’au 30 septembre. Les précautions d’usage s’appliquent: porter une attention particulière à la rédaction des courriers, respecter les formalités commerciales lorsque le bailleur est une société, et s’assurer que l’expression de la volonté soit claire pour éviter tout litige de requalification.

Si l’une des parties reste passive ou ambiguë, une mauvaise interprétation peut naître: même si le bailleur s’est opposé à l’occupation, des actes postérieurs (négociations pour un nouveau bail, absence de réaction rapide) peuvent être pris pour une acceptation tacite de poursuivre le bail. Cette tolérance, si elle se prolonge, peut donc faire basculer le contrat vers le statut des baux commerciaux, avec tous les droits qui en découlent pour le commerçant, cette situation pouvant toutefois être communément souhaitée lorsque les parties se rendent compte du sérieux et de la pérennité de leurs relations.

En résumé, bien utilisé, le bail déroga toire est un outil précieux pour tous ceux qui souhaitent tester un emplacement commercial, tout en gardant la possibilité de s’engager plus durablement à l’avenir.