Le sort du contrat de franchise dans le cadre d'une transmission d'entreprise

Le 15 Septembre 2023

La cession d’un fonds de commerce sous franchise est une situation relativement fréquente dans le secteur de l’optique. Ses dispositions spécifiques ne sont pas sans conséquence et doivent être évaluées dès l’amorce du projet et avant toute démarche.

Par Hervé Benchétrit, Avocat Associé, cabinet FLG Avocats
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Tout franchisé d’une enseigne d’optique est avant tout un entrepreneur qui a des choix à effectuer sur la conduite de son activité, et parfois des opportunités de transmission de son entreprise à un candidat acquéreur.
Quelles que soient les motivations qui conduisent cet entrepreneur à céder son fonds de commerce (ou les titres de sa société), une attention particulière devra être accordée au contrat de franchise qui prévoit des dispositions spécifiques en pareille situation.

La durée du contrat de franchise et rappel des principales causes de résiliation

Le contrat commercial de franchise permet au franchisé de bénéficier d’un droit d’utilisation, de signes distinctifs, d’un savoir-faire, et d’un soutien commercial ou technique de la part d’un franchiseur en contrepartie d’une somme payée (ca Lyon, 3 décembre 2020, n°17/03449).
Le franchisé bénéficie ainsi du rayonnement d’une marque dont la renommée nationale, parfois internationale, impacte les consommateurs dans un secteur à la concurrence forte et diversifiée.
Le contrat de franchise emporte certes des droits, mais également un certain nombre d’obligations liant les parties sur une période en
général comprise entre 5 et 7 ans.
À l’issue de cette période, les contrats de franchise prévoient, soit qu’un nouveau contrat de franchise sera conclu, soit une reconduction des liens contractuels initiaux par durées successives de 1 à 2 ans.
Ledit contrat étant le plus souvent conclu à durée déterminée, la « résiliation anticipée » du contrat par l’une ou l’autre des parties
n’est en principe pas possible.
Cependant, la rupture du contrat par le franchisé pourrait être reconnue comme justifiée principalement si le franchiseur :

  • ne respecte pas ses obligations essentielles (transmission du savoir-faire, assistance technique, publicité…) ;
  • n’a pas procédé à l’information préalable du franchisé contenue dans le document d’information précontractuelle obligatoire ou y a communiqué des informations trompeuses voire erronées.

Le franchiseur pourra quant à lui mettre fin au contrat si le franchisé :

  • ne paie pas ses redevances ;
  • ne respecte pas l’obligation d’approvisionnement exclusif ;
  • viole la clause de non-concurrence.
  • cède son fonds de commerce.

La délicate question de la cession de fonds de commerce sous franchise

La cession d’un fonds de commerce est une opération juridiquement complexe, plus encore dans le cadre d’un contrat de franchise, nécessitant une vigilance accrue du franchisé dans les démarches qu’il s’apprête à accomplir.

Si aucune clause d’un contrat de franchise ne saurait interdire la cession du fonds de commerce appartenant à un franchisé (ou une cession des titres de sa société), des aménagements spécifiques encadrent généralement la vente, et en particulier :

  • L’instauration d’un droit de préemption au profit du franchiseur qui, dans un certain délai, pourra aviser le franchisé qu’il souhaitera préempter la cession du fonds de commerce pour lui-même ou au profit d’une personne qu’il désignera (une personne du réseau ou souhaitant y entrer).
  • Une clause de rupture anticipée du contrat de franchise en cas de cession du fonds de commerce.

Si le franchiseur ne préempte pas la cession et si aucune clause du contrat de franchise ne prévoit expressément la rupture du contrat
de franchise en cas de vente de l’entreprise, la jurisprudence vient confirmer que cette cession emporte nécessairement la résolution
immédiate du contrat de franchise.
Cela pourrait sembler relever de l’évidence, puisque la cession entraine l’impossibilité d’exécuter
le contrat conclu intuitu personæ.
Les juges du fonds ont eu cependant à se prononcer sur des situations conflictuelles et l’on devra retenir l’essence suivante de
certaines décisions :
● «L’absence de cession du contrat de franchise à l’acquéreur du fonds a nécessairement emporté résiliation de ce contrat par le franchisé» (CA Douai, 31 mars 2016, n° 14/04545) ;
● «Que faute de transmission automatique du contrat de franchise avec le fonds cédé, la cession a eu pour effet de mettre fin au contrat de franchise avant le terme prévu contractuellement» (CA paris, 4 septembre 2013, n°11/10646).

L’indemnisation du franchiseur en situation de rupture anticipée du contrat

Si rien ne saurait donc empêcher un franchisé de céder son entreprise à une personne qui ne serait pas intéressée par la reprise de la franchise, le franchiseur pourra faire valoir son droit à indemnisation en pareille circonstance, au regard du préjudice subi par l’impossibilité de percevoir les redevances initialement prévues. ce droit aura pu être établi et valorisé par avance dans le contrat, et tout juge qui aurait à connaître d’un contentieux en présence d’une telle disposition ne saurait augmenter l’indemnité fixée ou la réduire, sauf si la pénalité est manifestement excessive, ou à l’inverse, dérisoire (article 1235-1 du code civil).
Par ailleurs, même en l’absence d’une indemnisation expressément prévue par le contrat de franchise, le droit à indemnisation du franchiseur demeure.
Se référant au droit commun de la responsabilité civile (article 1217 du code civil relatif aux sanctions en cas d’inexécution contractuelle), la jurisprudence sanctionnera le franchisé et le condamnera à verser une indemnité de résiliation anticipée à son franchiseur (notamment Cour d’appel de Paris, 1er juillet 2020, n°18/21756 ; dans cette espèce où un contrat de franchise de 9 ans était rompu du fait du franchisé, seulement moins de 2 ans après avoir été conclu, les juges ont condamné le franchisé à verser une somme correspondant à 40 % du montant des redevances restant dues jusqu’à la fin du contrat).
Il serait ainsi possible de considérer que plus les liens contractuels auront duré, moins le droit à indemnité sera significatif.
Attention toutefois, en pareille circonstance, chaque cas est particulier, et les magistrats apportent une attention particulière à la rédaction du contrat, aux obligations respectives des parties et à leur attitude au cours de l’exécution du contrat.

Focus sur une des conséquences de la rupture du contrat : la restitution des meubles

Les franchiseurs ont de longue date développé des techniques commerciales destinées à forger leur identité aux yeux du public et de leur réseau.
Sur le plan juridique également, certains outils ont participé à cette construction. Il en est ainsi du droit de la propriété intellectuelle qui permet au franchiseur de protéger sa marque, son logo, certains dessins ou modèles, voire des brevets. De ce fait, les grands réseaux d’optique ont notamment procédé au dépôt auprès de l’inpi de nombreux dessins et modèles pour le mobilier des magasins, les divers ornements de façades, etc.
Le franchisé qui aura investi dans le mobilier pour agencer son magasin, devra donc s’assurer, avant de vendre son entreprise à une personne tierce au réseau, de l’existence de mobilier bénéficiant d’une protection au titre de la propriété intellectuelle.
Le contrat de franchise prévoit naturellement le plus souvent l’interdiction pour le tiers acquéreur d’utiliser les signes distinctifs de la marque qui ne sera pas reprise, ainsi que l’obligation pour le franchisé de déposer tout le mobilier ou les panneaux et écriteaux faisant référence au réseau.
Une fois encore, si une telle obligation tombe sous le sens, elle n’est éventuellement pas sans conséquence sur les discussions qu’un franchisé pourrait avoir avec un candidat acquéreur sur le montant de la cession, ce dernier étant alors contraint d’investir sur l’agencement quasi intégral de la boutique.
Un franchisé devra anticiper cette question suffisamment tôt dans les discussions; certains franchiseurs permettent toutefois au franchisé de ne pas s’opposer à la cession du mobilier dès lors que les signes distinctifs sont effacés lorsque cela est possible.
Le franchisé aura donc le plus grand intérêt à s’engager dans un processus de transmission de son entreprise qu’après avoir correctement évalué l’ensemble de ces problématiques qui sont loin d’être des sujets anodins.