Il y a comme un air de déjà-vu… C’est l’histoire d’un opticien, sa femme et un médecin qui encourent aujourd’hui des peines de prison pour avoir exercé illégalement la profession d’audioprothésiste et escroqué, pendant six ans, les CPAM de la Marne, de la Haute-Marne, des Ardennes et de la Meuse à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros.
Tout commence en 2013. Afin de développer l’activité audio dans leurs centres d’optique sous franchise Optical Center, un opticien et son épouse ont loué le numéro Adeli d’un ami, pédiatre de formation, et lui ont demandé d’assurer le rôle fictif d’audioprothésiste. Moyennant 900 € par mois, le médecin a permis au couple et ses salariés de capter une clientèle malentendante et de réaliser l’ensemble des actes audioprothétiques. Plus de 1 300 aides auditives auraient ainsi été vendues sur la période.
Au cours de l’audience, qui a duré plus de six heures, les prévenus ont, pour leur défense, appliqué la stratégie de la patate chaude, rejetant les responsabilités les uns sur les autres : le médecin rendait service, Madame n’était que l’exécutante de son ex-époux, Monsieur ne faisait qu’appliquer les souhaits d’Optical Center de développer la filière audio dans ses centres, même sans audioprothésiste. Ni les uns ni les autres n’ayant été en contact avec les patients, déléguant cela à leurs subordonnés, ils ne pouvaient donc être tenus pour responsables d’exercice illégal...
Quant au préjudice à l’égard de la CPAM, l’opticien le récuse au motif que des aides auditives ont bien été dispensées… « mais cela, sans garantie que le travail ait été fait correctement et, surtout, en oubliant que l’Assurance maladie conditionne ses remboursements au fait que les adaptations ont été réalisées par un audioprothésiste diplômé », commente Maître Luc-Marie Augagneur, avocat du SDA.
Nul n’est censé ignorer la loi
Les prévenus se sont également retranchés derrière une absence de clarté de la loi ne leur permettant pas de déterminer ce qu’est un exercice illégal. « Je ne me suis pas posé la question car je n’imaginais pas qu’on pouvait être dans l’illégalité pendant six ans en France sans que personne ne remarque rien », a commenté, selon nos confrères de L’Union, le médecin, avec une franchise confondante. Face au juge qui s’étonnait que ce dernier ait perçu 100 000 € en six ans sans jamais avoir été présent dans les centres d’optique, le médecin s’est défendu en expliquant que « gagnant 250 000€ par an, cette petite somme mensuelle ne comptait pas pour lui et qu’il n'y avait pas vu de responsabilité, qu’il ne faisait que rendre service à des opticiens qui ne trouvaient pas d'audio ». Ajoutant que « c'est une profession où il n'y a pas de risque, c'est l'informatique qui fait tout, il suffit de cliquer sur un bouton ». Répondant à l'avocat adverse, le gérant a déclaré que « le seul risque est de percer le tympan »...
Les prévenus ont par ailleurs tenté d'expliquer le recours à cette combine par un contexte de pénurie d'audioprothésistes diplômés en France. « Comme si les besoins justifiaient les moyens, commente encore Maître Augagneur. Cela reviendrait à dire que, dans les déserts médicaux, n'importe qui aurait le droit de s'improviser médecin pour répondre à la demande... »
Le SDA, partie civile
Le SDA s’est constitué partie civile dans cette affaire pour « défendre l’intérêt collectif de la profession d’audioprothésiste et obtenir réparation de son préjudice résultant de l’exercice illégal de la profession d’audioprothésiste par les prévenus poursuivis à ce titre ». Selon Maître Augagneur, les poursuites judiciaires pour exercice illégal de la profession d'audioprothésiste sont encore peu fréquentes mais « cela ne reflète pas la réalité », indique-t-il, citant l'exemple de Moovaudio et « d'autres encore ».
Le procureur a requis trois mois de prison avec sursis et 15 000 € d’amende pour le médecin, six mois avec sursis et 10 000 € d’amende pour l’opticien et 3 mois et 3 000 € d’amende pour son ex-femme. Selon nos informations, le représentant du ministère public a également requis des peines contre les sociétés : 60 000€ d'amende et la conservation des sommes saisies, soit un peu plus de 500 000€, auxquelles devrait s'ajouter le remboursement aux CPAM des sommes indues (382 000€). Soit, au total, près d’un million d’euros. Les délibérés sont attendus le 22 mars.