Stéphane Legrand, Directeur Général de Shamir France

Le 19 Septembre 2022

Le verrier fête, cette année, ses 50 ans. a cette occasion, Stéphane Legrand, DG France, nous dévoile sa vision du marché de l’optique après deux années mouvementées. Il revient également sur les innovations Shamir et l’actualité de la marque.

Propos recueillis par Jennifer Ivoré
STephane Legrand

La revue des opticiens (LRDO): Les années qui viennent de s’écouler ont été particulières. Comment cela s’est-il passé pour Shamir ?
Stéphane Legrand (SL) : Il est vrai que cette période a été compliquée, avec des modifiations dans le comportement des consommateurs, mais nous avons la chance d’être dans un marché qui résiste relativement bien aux crises, et pour Shamir, le bilan est globalement bon. Durant le 1er semestre 2021, nous avons surfé sur une bonne dynamique des opticiens indépendants, qui représentent la majorité de nos clients, et qui ont bénéfiié du report des consommateurs suite à la fermeture des centres commerciaux. A contrario, au cours du 2ème semestre, la dynamique a été plutôt du côté des opticiens sous enseigne. Au final, 2021 a été une bonne année, équivalente à 2019.

LRDO: Retrouve-t-on cette même dynamique en 2022?
SL: La croissance au cours du 1er semestre est plus faible, mais c’est logique car les résultats 2021 étaient très bons. Lorsque l’on compare ceux du début d’année 2022 à la même période de l’année précédente où les opticiens indépendants avaient surperformé, cela est forcément un peu moins bon ! Les opticiens semblent confrontés à une baisse de fréquentation en magasin. Même si les chiffres globaux restent corrects, la structure du marché a évolué ces 3 dernières années et la consommation optique augmente peu en ce début d’année 2022.

LRDO: Pourquoi selon vous ?
SL: Il y a plusieurs raisons à cette diminution de la consommation. Tout d’abord, la réduction du remboursement sur les montures a parfois impacté la valeur moyenne des verres vendus en magasin, car certains porteurs n’ont pas voulu accroître le reste à charge de leur équipement. Le 100% Santé, même s’il représente moins de 10 % des ventes, a également eu un impact. Les produits du panier A sont plus qualitatifs que ceux qui étaient auparavant intégrés au panier CMU. C’est très bien pour les porteurs concernés, mais, même si le remboursement est un peu plus élevé qu’avant, la différence de prix de base n’est pas absorbée.
Conséquence : là encore, une baisse des prix moyens de vente. Par ailleurs, dans une situation économique incertaine, les consommateurs ont aujourd’hui tendance à faire des arbitrages lorsqu’ils achètent un équipement. C’est particulièrement visible sur les choix des designs de verres. Entre deux produits, l’un premium, l’autre moyen de gamme, c’est vers le second que les porteurs vont aller pour ne pas avoir trop de reste à charge. C’est assez paradoxal car en même temps il y a eu une vraie lame de fond très positive pour les verres « Santé » (protection contre la lumière bleue notamment) et donc une forte croissance sur ce segment. Globalement Cela aboutit à un maintien d’un reste à charge, mais sans élévation du mix produit par rapport aux années précédentes.

LRDO: Suite à la crise du Covid, des problèmes d’approvisionnement persistent sur certaines matières premières. Cela vous impacte-t-il ?
SL: En ce qui concerne les approvisionnements, des verres semi finis et des matériaux de finition des verres la situation est tendue mais relativement maitrisée. Le problème majeur est surtout lié aux machines d’atelier et de laboratoire. Auparavant, le délai d’acheminement était d’environ 3 mois. Aujourd’hui, il faut compter 9 à 12 mois ! Cela nous oblige à anticiper.

LRDO: L’actualité économique est, elle, marquée par l’inflation. Comment cela se traduit-il pour Shamir ?
SL: L’infltion a fait exploser les coûts à différents niveaux. Au 1er trimestre, le prix de l’électricité a été multiplié par trois. Au 2ème trimestre, il a quasiment doublé. Forcément, cela a un grand impact pour une entreprise comme la nôtre qui fabrique tous ses produits et a donc une forte consommation électrique.
En parallèle, les coûts du transport ont aussi augmenté. Les verres sont donc plus chers à fabriquer et à transporter. La situation n’est pas simple, personne n’a envie d’augmenter ses prix alors que l’on sait que le pouvoir d’achat est en baisse. Nous avons donc décidé jusqu’à présent d’absorber les surcoûts de production, en diminuant nos marges. Nous encourageons aussi nos partenaires opticiens à adopter rapidement les dernières innovations et proposer ainsi des verres avec plus de valeur ajoutée. N’est-ce pas une manière vertueuse d’augmenter ses prix ? Un système gagnant-gagnant pour le fabricant, l’opticien et le consommateur ?

LRDO: Justement, parlons innovation…
SL: C’est l’ADN même de l’entreprise Shamir depuis sa création. Nous cherchons constamment à répondre aux besoins des opticiens et des porteurs avec des produits toujours plus performants. Le meilleur exemple est le catalogue de verres Shamir Métaform que nous avons lancé cet hiver et qui colle aux besoins des consommateurs puisqu’il offre des verres plus résistants, plus fins et plus légers.

Nous cherchons constamment à répondre aux besoins des opticiens et des porteurs avec des produits toujours plus performants.

LRDO: Comment cela fonctionne ?
SL: Concrètement, dans une fabrication « classique », les étapes sont nombreuses et complexes. Il faut beaucoup de machines, d’opérateurs, de contrôles à différents niveaux… Avec la technologie Shamir Métaform, les opérations dans les usines en amont restent complexes mais au sein du laboratoire la finition des verres est extrêmement simplifiée. Tout d’abord, dans nos usines en amont nous fabriquons en série les couches Preform (« fim plastique » intégrant les composants « durci » et « antireflet »). Ensuite, dans nos laboratoires, nous fusionnons cette couche Preform sur le verre après voir réalisé un thermoformage en 3 dimensions. Cette opération de fusion est beaucoup plus rapide que la technologie habituelle, car beaucoup plus simple. En plus, cela est plus respectueux de l’environnement : 90 % en moins d’électricité consommée, 20 litres d’eau économisé par verre et 55 % enmoins de produits chimiques utilisés. L’opticien peut continuer à travailler avec les verres qu’il apprécie, mais nous lui offrons un produit « quasi indestructible » et qui le libère des contraintes habituelles liées aux indices, tout en étant le seul verre « eco-responsable ».

LRDO: Comment cette nouveauté a été accueillie par les opticiens ?
SL: Nous venons juste de lancer ce nouveau catalogue et nos premiers clients sont ravis. Comme il s’agit d’une innovation de rupture (disruptive) l’adoption par l’ensemble de nos partenaires opticiens sera lente. C’est une observation que nous avions déjà faite lors de nos lancements précédents : le marché français a souvent besoin d’une petite latence pour accepter les innovations.

LRDO: A quoi est-ce lié selon vous ?
SL: Il y a une inertie liée, notamment aux réseaux de soins. Le référencement des innovations et donc leur valorisation ne se fait pas en temps réel. Or, s’il n’y pas de valorisation, l’opticien ne vend pas le produit. en France, les lancements sont souvent plus lents qu’à l’international.
La 2ème cause de cette inertie est liée à la capacité des opticiens à intégrer des nouveautés produits. Quand il s’agit de verres très techniques, cela demande un minimum d’explications et donc de formation. Or, il y a actuellement, on le sait, un manque de personnel en magasin. Il n’est donc pas toujours évident pour l’opticien de consacrer du temps à nos équipes pour bien appréhender les innovations et donc bien les vendre ensuite. En plus, nous sommes un groupe à taille humaine qui n’a clairement pas la force de frappe marketing d’un gros groupe !

LRDO: Vous proposez également de nombreux services pour accompagner les opticiens…
SL: Oui, bien sûr. Il ne suffit pas d’innover uniquement sur les verres, il faut offrir aux opticiens des services qui facilitent leur quotidien : formation, PLV, rapidité de livraison, etc.
La formation est très importante pour Shamir. Le Groupe a d’ailleurs des programmes complets développés par la Shamir Academy. Cela inclut des formations en interne, pour nos équipes, mais aussi des sessions pour nos clients opticiens. C’est indispensable pour comprendre les produits et ensuite trouver les mots pour convaincre le porteur. Concernant les outils d’aide à la vente, là encore, notre maître mot est l’innovation. C’est ainsi que pour le Glacier Expression, notre dernier traitement qui minimise les reflets, nous proposons un dispositif ludique de miroir et de photographie qui permet vraiment de voir la différence avec un traitement classique.
Nous avons aussi travaillé sur nos délais de livraison. Cela nous a semblé important car les consommateurs veulent du temps pour choisir leur équipement, mais ensuite, ils veulent le recevoir rapidement. C’est pourquoi nous proposons Inotime et Fast FR qui permettent de livrer nos produits en un temps record. Avec Inotime, les verres sont fabriqués et livrés en 4h sur Paris et la Région Parisienne et en J+1 en France Métropolitaine pour des commandes avant 17h.

Nous travaillons toujours sur les services et la rapidité : faire bien est un objectif mais faire bien et aller très vite est encore mieux.

LRDO: Shamir a 50 ans cette année. Qu’avez-vous prévu à cette occasion ?
SL: Chaque fiiale a célébré cet anniversaire avec ses équipes. C’était une vraie volonté du groupe car, malgré l’importance des machines et des technologies en évolution permanente, ce sont les hommes et les femmes de Shamir qui sont au cœur du développement de l’entreprise. Mais nous réservons aussi quelques surprises à nos clients opticiens, notamment à l’occasion du Silmo 2022. Je ne peux pas vous en dire plus, mais nous allons frapper fort avec quelque chose qui n’a jamais été fait sur le salon.

LRDO: Pour conclure, quelles sont vos futurs axes de développement ?
SL: Ils sont pluriels. Nous travaillons toujours sur les services et la rapidité : faire bien est un objectif mais faire bien et aller très vite est encore mieux.
Ensuite, la protection reste un sujet d’actualité et de santé publique sur lequel nous investissons beaucoup. D’ailleurs, notre partenariat avec l’équipe Alpine F1 Team nous permet de travailler, par exemple, sur la protection mécanique. Enfin, dans la lignée de notre verre Autograph Intelligence, qui a fait entrer l’intelligence artifiielle dans la conception des verres progressifs, nous avons, cet hiver, lancé la 2ème génération dont les calculs se basent sur de nouvelles données. Nous allons continuer dans cette voix avec pourquoi pas, bientôt, une extension aux verres unifocaux.